Depuis les évènements du 7, 8 et 9 janvier 2015, le ministère de l’Intérieur a demandé aux maires de consulter leur police municipale sur l’opportunité d’armer ces agents. Dans la région, Châlons-en-Champagne a décidé de franchir le pas et Reims a lancé une réflexion sur ce sujet. Si armement il y aura, il sera question d’armes à létalité réduite, renommée "non-létale" par les médias. Il apparaît donc important de se pencher un peu sur ces joujoux dont vont probablement disposer de plus en plus de policiers municipaux.
Dans une série de trois articles, seront étudiés l’utilisation effective en France de ces armes, ensuite ce qu’il se fait dans les autres pays et le commerce de ces armes. Mais d’abord, commençons cette série par un petit historique.
Irlande du Nord : Laboratoire de la première génération
Historiquement, donc, si la présence d’arme non-létale est à constater un peu partout, et surtout dans les colonies dès le début du siècle dernier, les premiers à utiliser de manière répétée et réfléchie ces armes vont être les britanniques. L’Irlande du Nord est considérée comme le laboratoire des armes non-létale sur les populations locales de la Métropole. Leur utilisation va intervenir dans deux circonstances, sommes toutes très différentes : l’interrogation des prisonniers de l’IRA et la gestion des émeutes. La première de ces utilisations sera qualifiée de "traitements inhumains et dégradants" par la Cour Européenne des Droits de l’Homme dès 1976. En revanche, la seconde utilisation, celle durant les manifs, va poser beaucoup moins de problèmes éthiques.
Les britanniques testent. La Squawk Box fait partie de leur arsenal non-létale. Il s’agit d’une boite qui émet deux hyperfréquences différentes [par exemple 16 000 Hz et 16 002 Hz], qui une fois mixées par l’oreille deviennent insupportables, et causent des étourdissements, des nausées et des évanouissements.
Les armes non-létales deviennent très rapidement létales, Il s’agit des prémices de ces armes et les tests grandeur nature à Belfast font plusieurs morts.
En 1970, apparaissent des balles en caoutchouc, puis en plastiques, qui tueront 17 personnes, connues. Entre 1973 et 1998, la BBC estiment que les forces britanniques ont tirés 125 000 balles en plastique sur le sol irlandais.
Le Royaume-Uni n’obtient pas du tout l’effet escompté, l’utilisation de ces armes va intensifier le conflit.
Le parlement britannique interdit l’utilisation des armes à létalité réduite partout en Grande-Bretagne, sauf en Irlande du Nord...
En 1995, les nord irlandais perdent leur privilège d’unique victime des armes non létales au Royaume-Uni. Le quartier de Brixton, dont la très grande majorité de la population est noire, s’embrasse suite à la mort de Wayne Douglas en garde à vue. La police utilise des armes non létales face aux habitants de Brixton.
Le Non-Fatal Offences Against the Person Act de 1997 qui interdit l’utilisation "de la chaleur, de la lumière, de l’électricité, du bruit, ou toute forme d’énergie" contre les personnes va rendre illégal un bon nombre de ses armes, bien que leur utilisation continue...
Ces armes à létalité réduite se voient donc utiliser contre des populations sur lesquels la police possède une très grande marge de manœuvre puis peu à peu cette utilisation s’étend à un pan plus large de la société. Ainsi, en 2011, lorsque Tottenham, loin d’être un ghetto uniquement constitué de noirs, s’émeute suite à la mort d’un homme de 29 ans, tué par un policier, la Metropolitan Police annonce son intention de se servir de balles en caoutchouc, celles testées pendant des années en Irlande du Nord. Tout le Royaume-Uni devient donc un terrain d’application d’un savoir faire acquis contre une minorité.
Un développement international grâce aux États-Unis
Pendant plusieurs années, la Grande-Bretagne en Irlande et Israël en Palestine vont être les seuls à avoir une utilisation industrielle du non-létale. De nombreux pays s’en servent bien sûr mais cela reste ponctuel, et surtout plutôt secret. Peu se vantent de l’utilisation de ces armes.
Il va falloir attendre 1991 et le lancement par Dick Cheney, secrétaire d’État à la défense, d’un groupe de travail autour des armes non-létales pour que celles-ci gagnent leur respectabilité.
En 1992, les casques bleus de l’ONU utiliseront ce type d’arme en Somalie, notamment canons à eau et gaz lacrymogènes. En 1996, l’OTAN organise un séminaire autour de leur utilisation, 12 pays membres y participent (Allemagne, Belgique, Canada, Danemark, États-Unis, France, Grèce, Italie, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni et Turquie), en revanche, il n’y a pas de trace significative de leur conclusion. La même année, la réflexion lançait aux États-Unis aboutissait à la Directive 3000.3, document considéré comme fondateur de la théorie de la non-létalité qui concluait :
« Les armes non létales sont des armes discriminantes qui sont explicitement mises au point et principalement utilisées pour frapper d’incapacité le personnel et le matériel, avec un minimum de risque mortel, de lésions permanentes au personnel et de dommages indésirables aux biens et à l’environnement ».
La Somalie devient un laboratoire pour les États-Unis. Ils y testent de nombreux gadgets, dont le sticky foam, sorte de mousse gluante et acide qui empêcherait les mouvements de la personne qui la reçoit.
Les tests de certaines de ces armes vont s’avérer concluants, d’autres non, pas de nouvelle par exemple du sticky foam... Elles vont donc être testées aux États-Unis.
D’’abord dans les quartiers noirs où tout le monde se souvient des émeutes de 1992 à Los Angeles, dans le quartier de Watts, après la mort de Rodney King. Puis peu à peu à chaque fois où il y a une foule à gérer. Le sommet du G8 de Seattle va servir de terrain d’entraînement grandeur nature pour tout un tas de lacrymogènes, projectiles, etc. Dernièrement, la gestion policière du mouvement Occupy Wall Stree témoigne de la généralisation des gaz et projectiles non létaux.
Les États-Unis servant de modèle vont inspirer les français et d’autres pays occidentaux, qui par le biais de revente de leur savoir-faire vont peu à peu développer ces armes à létalité réduite partout dans le monde.
En France, un outil contre les quartiers
La France utilise très vite les gaz lacrymo et les bâtons de défense dans la gestion de foule lors de la période de l’après-guerre. En mai 68, les CRS ont déjà dans leur arsenal les matraques et les gaz. Les meurtres policiers de 1961 ont tout de même marqué une bonne partie de la population et il s’agit ici de manifestations d’étudiants pour la plupart, il n’est pas question d’en tuer à la pelle. Les armes non-létales trouvent donc leur utilité dans cette volonté, ou plutôt impossibilité politique, de ne pas toujours tuer.
Les lacrymos et les canons à eau, même si ces derniers sont peu utilisés en France il est vrai, vont devenir une image d’Épinal des manifs, à tel point que plus personne ne sera choquée par leur usage. En revanche, dans les quartiers se développe une toute autre vision. Avec l’arrivée de Mitterrand, la gauche souhaite éviter de trop tuer, la violence des derniers ministres de l’intérieur (dont les deux tarés Marcellin et Poniatowski) a un tant soit peu écorné l’image de la police dans les couches populaires. C’est donc en 1982 qu’arrivent les célèbres GOMM-COGN de l’entreprise ManuFrance tirées par des fusils à pompe. Les policiers vont très vite les adopter et leur présence va se généraliser dans les rangs des forces de l’ordre au cours des années 1980, notamment dans les quartiers.
En 1992, les premiers Flash-Balls font leur apparition suite à des émeutes ayant mis en grande difficulté la police. "Ils sont destinés à être utilisés uniquement dans les cas de légitime défense pour arrêter un individu menaçant les policiers d’un pistolet à grenaille ou d’une arme blanche" selon Pierre Richert, leur concepteur. En 1994, la création de la BAC de nuit puis leur généralisation en 1996 va permettre aux armes non létales, notamment Flash-ball, de connaitre une utilisation quotidienne dans les banlieues grâce à leur côté ludique, les flics les considèrent comme des jouets, dont ils peuvent se servir quand ils veulent contrairement aux armes à feu. En 1999, le Flash-Ball superpro arrive dans les mains des policiers, fabriqué par Verney-Carron, il dispose d’un double canon de 44 mm et crée une détonation équivalente à un calibre 12. Après les émeutes de 2005, des Flash-Ball encore plus puissant remplacent les anciens, ces armes additionnées à l’esprit de vengeance des policiers tendront vers une utilisation plus nombreuse et plus violente.
Dans le même temps, en 2004 le Taser X6 arme la police française pour la première fois. Il envoie deux dards délivrant une décharge comprise entre 20 000 et 50 000 volts avec un ampérage de 0.0036 amp. D’abord conçu pour la police nationale, son usage est élargi à la municipale en 2008, ce que le conseil d’État annulera en 2009 dans un premier temps avant qu’un autre décret n’autorise définitivement le Taser pour les policiers municipaux.
Partout, le même schéma
Dans ce petit historique, nous avons pu voir que l’utilisation de ces armes dites "non-létales" était dans un premier réservé aux populations de seconde zone à l’intérieur des métropoles, les irlandais du nord pour le Royaume-Unis, les habitants de banlieues en France. Puis sous l’impulsion des États-Unis, la plupart des pays ont élargi leur utilisation à toutes les personnes confrontées à la police. Elles sont devenues un outil primordial dans la gestion de foule et il est actuellement impossible de participer à une manifestation sans être face à une police possédant plusieurs de ces armes (matraques, lacrymo, Flash-ball, Taser), dans les quartiers elles font partie du quotidien de nombreuses personnes.
Dans un second chapitre, nous reviendrons plus en détail sur les caractéristiques de ces différentes armes, on étudiera un peu aussi les dorénavant célèbres grenades de désencerclement et on tentera de faire un bilan, malheureusement non-exhaustive, des victimes de ces armes.
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