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Le plan Vigipirate, c’est quoi ? (2/4)

Le plan Vigipirate, ça ne date pas d’hier. La preuve une bonne partie de la population française l’a toujours connu. Ainsi la première instruction interministérielle ayant pour but la mise en place de mesures visant à prévenir des agressions terroristes en France remonte à 1978.

En 1981 apparaît le plan gouvernemental Pirate qui vise à faciliter la prise de décision du Premier Ministre quand à la lutte contre les actes terroristes. Mais c’est finalement le 2 janvier 1991, dans un contexte marqué par la guerre du Golfe que se met en place le premier Plan Vigipirate.

Il est alors censé définir les principes pour « conduire l’action de l’État dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. » Il se décline alors en deux phases : Vigipirate simple et Vigipirate renforcé. La phase simple du projet est déclenché à peine trois jours après sa création le 5 janvier 1991. Puis, dans le cadre des bombardements commençants alors en Irak, la phase renforcé est elle aussi très vite déclenché le 17 janvier 1991. Elle sera maintenu à ce niveau jusqu’à la levée totale du dispositif Vigipirate le 26 avril 1991.

Il est réactive directement au niveau renforcé en septembre 1995 suite à l’explosion d’une voiture piégée devant une école juive à Villeurbanne. Il sera maintenu à ce niveau suite aux attentats du RER Saint-Michel le 25 juillet ou du métro Maison Blanche le 6 octobre. Il sera allégé le 15 janvier 1996, mais sera tout de même maintenu jusqu’à sa désactivation totale en octobre 1996.

A cette période, les premiers bilans du Plan Vigipirate commencent à être tirés. Et, si le bilan est loin d’être satisfaisant au niveau de la lutte contre le terrorisme, les chiffres publiés par la police parisienne semble déjà annoncer la couleur. En effet, le Plan Vigipirate aurait entraîné une chute de la petite délinquance (-12,35%) ainsi qu’une hausse des arrestations des étrangers en situation irrégulière (+25,37%), résultat directe de la présence de centaines de policiers supplémentaire dans les rues. À l’occasion du mouvement social qui agite la France en 1995, on entendra certains hommes politiques, comme Eric Raoult, réclamer la création d’un plan « Vigicasseur » ou « Vigibanlieue ».

Permanence et militarisation du Plan Vigipirate

C’est suite aux attentats dans le RER B à la station Port Royal à Paris que le plan Vigipirate est réactivé le 3 décembre 1996, là encore directement au niveau renforcé. Depuis cette date, le plan Vigipirate n’a pas été levé.

De cette date, il a été régulièrement renforcé dans le cadre, tour à tour, de la Coupe du monde de football, des bombardements au Kosovo et en Serbie ou de la situation en Corse. Il sera encore une fois intensifié le 27 décembre 1999 pour faire face au « bogue informatique, [au] terrorisme et [aux] sectes » comme l’a expliqué Jean-Pierre Chevènement alors ministre de l’Intérieur pour justifier la mobilisation de 73 000 policiers pour la soirée du « passage à l’an 2000. »

Mais c’est finalement Lionel Jospin, qui suite aux attentats du 11 septembre, pourra se vanter d’avoir contribuer à faire prendre au Plan Vigipirate son visage le plus connu en ayant recours à la mobilisation massive de l’armée. L’année suivante, c’est Jean-Pierre Raffarin qui renforcera cette mesure, dans un premier temps, pour le premier anniversaire des attentats. Puis pour les fêtes de fin d’année, il décidera du doublement des militaires mobilisés, qui passe alors de 400 à 800.

Le 20 mars 2003, suite au déclenchement de la guerre en Irak, Jean-Pierre Raffarin réforme le plan Vigipirate pour lui faire adopter un système de code couleur. Ce nouveau Plan Vigipirate se définit par cinq niveaux, chacun associé à une couleur : Blanc, jaune, orange, rouge et écarlate. En plus de ce code couleur, directement inspiré du système américain, cette réforme inscrit dans la loi l’abandon du caractère exceptionnel qu’il pouvait jusque là revêtir. « Le plan Vigipirate mentionne aussi une posture permanente de sécurité qui doit imprégner toutes les activités et vise à entretenir la vigilance, à former les équipes de sécurité et à les entretenir par des exercices » (dossier de presse de présentation du nouveau plan Vigipirate, 26 mars 2003).

À cette occasion, le dispositif est de nouveau renforcé et le nombre de militaires déployés sur le territoire français passe à plus de mille. À peine créé, le nouveau Plan Vigipirate est donc déjà au niveau orange. Il sera maintenu à ce niveau jusqu’au 2 octobre 2003, où il est abaissé au niveau jaune sur décision du premier ministre. Du 1er décembre 2003 au 26 janvier 2004, il repassera au niveau orange pour les fêtes de fin d’année.

Le 12 mars 2004, à la suite des attentats de Madrid, le niveau rouge est déclenché dans les transports terrestres et repasse au niveau orange partout ailleurs. En mai de la même année, le niveau rouge est décrété sur l’ensemble du territoire pour l’anniversaire du débarquement en Normandie, avant de repasser au niveau orange le 8 juillet 2004.

État d’urgence permanent ?

À la suite des attentats du 7 juillet 2005 à Londres, le Plan Vigipirate repasse au niveau rouge. Ce niveau ne sera plus jamais rabaissé. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, annonce le déploiement de mille militaires en renfort des personnels déjà en poste.

En novembre 2005, suite aux émeutes dans les banlieues, le Plan Vigipirate se double de l’État d’urgence, une mesure datant de 1955 et créer spécialement pour l’Algérie. Cette utilisation des méthodes coloniales dans la gestion de la sécurité intérieure est largement documentée par Mathieu Rigouste dans son livre : « La Domination policière. Une violence industrielle ».

Malgré la levée de l’État d’urgence le 4 janvier 2006, le Plan Vigipirate est maintenu au niveau rouge. Toutefois, cette situation signe l’entérinement de techniques issues de la doctrine de guerre révolutionnaire dans un modèle sécuritaire.

Ainsi le Plan Vigipirate s’inscrit parfaitement dans les propositions d’analogies entre doctrine coloniale et maintien de l’ordre faites par Mathieu Rigouste dans son article « L’ennemi intérieur, de la guerre coloniale au contrôle sécuritaire », à savoir :
1. La population est le milieu de prolifération de la menace et l’enjeu même du contrôle.
2. Le renseignement, face aux nouvelles menaces, doit permettre de tout voir, tout savoir, tout prévoir.
3. Faire prendre conscience à la population, de la menace globale.
4. Former les institutions (médias, écoles…) à la promotion de l’esprit de défense, pour immuniser la population.
5. Quadrillage nivelé mais permanent, fusion des dispositifs militaires et policiers en ville.

Ce glissement de la gestion d’une « menace terroriste » vers des mesures de contrôle de la population s’accentue encore en 2007. Une position assumée par le gouvernement à travers Michèle Alliot-Marie, alors ministre de l’Intérieur, qui déclarera le 1er juillet 2007 que "même si aucune menace particulière ne pèse sur notre pays, la France reste une cible potentielle du terrorisme."

Dans son livre publié la même année par le Centre de Doctrine d’Emploi des Forces, le général Dary explique que « le plan Vigipirate a été conçu pour participer à la lutte contre le terrorisme ; or l’expérience nous montre clairement, que les terroristes potentiels ne sont pas armés de Kalachnikov, agissant de façon cachée et œuvrent au milieu de la population. » Une situation qui pose problème puisque les soldats ne sont pas concernés par la lutte contre la délinquance, ni au niveau de la loi, ni au niveau de la formation.

Ce second problème sera très vite résolu comme l’explique toujours le générale Dary puisque les soldats recevront des formations à l’apprentissage de réponses progressives (manière de tenir l’arme, limitation des dégâts physiques du tir, usage d’armes non létales). Des formations qui visent à permettre une réaction des soldats « parfois en situation de stress, souvent vite et loin de leurs chefs, toujours isolées dans un environnement hostile. » Il est à noter que les autorités militaires appréhendent le territoire national comme un espace potentiellement hostile, s’inscrivant là encore dans le recyclage des méthodes issues de la colonisation.

Le premier problème quand à lui ne trouve pas vraiment de solution. D’ailleurs, il s’agit d’un problème bien plus général du Plan Vigipirate. Pour le prouver, citons cette initiative du cabinet d’avocat Atys, qui butait alors sur l’impossibilité de déterminer le statut juridique exacte du Plan Vigipirate.

Une intensification qui ne semble plus pouvoir s’arrêter

Suite à la découverte d’explosifs dans le magasin parisien Le Printemps, le dispositif du Plan Vigipirate, déjà au niveau rouge est alors renforcé dans certaines villes. Ainsi, à Paris, le nombre d’agents mobilisés passe de mille cinq cents à deux mille deux cents.

Un renforcement du niveau rouge qui se répètera en août 2010, en septembre 2010, et en octobre 2010, pour aboutir à la mobilisation quotidienne de 3 400 policiers et 980 gendarmes en novembre 2010 comme l’affirme alors le ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux interviewé sur France 2.

En mai 2011, le Plan Vigipirate en niveau rouge renforcé est encore renforcé, cette fois-ci par Claude Guéant, suite à la mort d’Oussama Ben Laden. Un renforcement qui se traduit par exemple par le fait que « vingt-sept sites de l’agglomération parisienne font l’objet d’une vigilance soit systématique soit quotidienne. »

Le 19 mars 2012, à la suite des tueries de Toulouse et de Montauban, le Plan Vigipirate entre pour la première fois de son histoire en activité au niveau écarlate. Un niveau qui précède de peu le recours aux mesures d’exception prévues par la Constitution de 1958, autrement dit à l’État d’urgence. En témoignent certaines mesures qui peuvent aller des restrictions ou interdictions de circulation dans les tunnels à la limitation ou arrêt de la distribution de l’eau du robinet et la mise en place d’un réseau de substitution en passant par la suspension de toute activité scolaire.

Le maintien du Plan Vigiprate à son plus haut niveau n’est pas politiquement très défendable. Comme en avait déjà témoigné en décembre 2010, la question au gouvernement de la députée socialiste Danielle Bousquet, qui s’étonnait alors du maintien du Plan Vigipirate au niveau rouge pendant plus de six ans. Une question restée alors sans réponse.

Le Plan Vigipirate repassera alors au niveau rouge. Toutefois, comme voulu par Nicolas Sarkozy, un renforcement de l’arsenal pénal aura lieu, notamment pour instaurer des peines de prison pour apologie du terrorisme.

Le 12 janvier 2013, la France part faire la guerre au Mali, un peu plus qu’elle ne le fait déjà en temps normal. L’occasion pour Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, d’établir dans les faits l’existence d’un niveau « rouge renforcé. » Un niveau qui se traduit par une surveillance accrue des gares et des lieux de cultes.

Le 15 avril 2013, Manuel Valls, à la suite des deux explosions survenues pendant le marathon de Boston, annonce, dans un communiqué de presse, un nouveau renforcement du Plan Vigipirate au niveau rouge renforcé...

L’absurdité de la situation devenant assez prononcée, la question est réglée le 20 février 2014, toujours par Manuel Valls. Le Plan Vigipirate abandonne le code couleur et se définit maintenant en deux niveau : Vigilance et Alerte attentat. Ces deux niveaux reprenant chacun les postures définies par les deux niveaux les plus élevés du code couleur, rouge pour Vigilance, écarlate pour Alerte attentat.

L’attaque contre Charlie Hebdo le 7 janvier 2015 entrainera l’activation du Plan Vigipirate au niveau Alerte attentat un peu moins d’un an après sa création. Mais cela donnera surtout l’occasion de tester le dispositif pénal voulu par Nicolas Sarkozy autour de l’apologie du terrorisme ; comme n’en finissent plus de le démontrer les affaires quasi-quotidienne dont nous ne citerons ici que la plus emblématique, celle d’Ahmed, 8 ans, entendu en comparution libre après dénonciation par son professeur...



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