Depuis les années 1990, la gauche présente la mixité sociale comme un remède quasi-miracle à ce qu’elle nomme "le problème des quartiers". Une unanimité semble émerger autour de cette idée, si bien que la droite a fait sienne cet idéal. Manuel Valls insiste aujourd’hui et souhaite l’utiliser comme antidote à la "ghétoïsation des quartiers populaires". Si la mixité peut avoir certains avantages, comme celui de découvrir d’autres mode de vie, il faut cependant constater qu’à ce mythe d’épanouissement urbain, de nombreuses critiques peuvent être prononcées.
Spatialisation de la pauvreté
Tout d’abord, dans la définition même du problème. La mixité sociale, et ses défenseurs, spatialisent un phénomène, la pauvreté. La pauvreté est un ensemble de conséquences, de situations, très peu palpables. En ciblant les "quartiers populaires" (comprendre quartiers pauvres) comme lieu de la pauvreté on la matérialise. Ainsi, pour agir sur la pauvreté, il suffit d’agir sur les quartiers, ce qui est beaucoup plus aisé. Bien sûr, en rien la pauvreté ne disparaît en déstructurant un quartier mais l’illusion auprès de l’opinion publique, grâce aux médias, apparait suffisante aux politiques.
Cette matérialisation entraîne une autre illusion, dans laquelle baignent certaines personnes pourtant bien intentionnées ou dans laquelle nous fait baigner d’autres beaucoup moins bien intentionnées. Cette illusion réside dans la croyance en la stabilité de la ville, des quartiers. Les quartiers pauvres restent pauvres, les riches également. Nul doute que ceci est une illusion. La ville est en constante évolution et son état actuel résulte de cette évolution et entrainera une autre évolution. Ainsi, la mixité sociale ne veut rien dire. En effet, la mixité sociale, état où vivent autant de riches que de pauvres, d’étrangers que de français, ne constitue qu’un moment d’un quartier. Bien souvent d’ailleurs, la mixité sociale entre dans les étapes de la gentrification. La mixité sociale est l’instant précédant l’embourgeoisement d’un quartier. Les familles aisées cohabitent avec les plus pauvres, avant de prendre totalement leur place. Cela se nomme "rénovation urbaine" pour les experts urbains.
La mixité sociale détruit les solidarités entre habitants
De plus, l’uniformisation découlant de cette mixité sociale entraîne un ennui. Le quartier est pour ainsi dire chiant, sans identité, sans groupe moteur. Parce que ce que les tenants de cette position ne saisissent pas, ou oublient de dire, c’est que l’identité d’un quartier dépend de sa composition sociale. Si on est fier d’habiter un quartier, si on s’y sent bien, c’est avant tout parce qu’on s’y identifie, au quartier et donc à ses habitants. Dans les quartiers pauvres, au-delà de tous les inconvénients indéniables qu’il y a à y résider, existe une solidarité, des liens d’amitiés entretenus par l’identification sociale. Si on se sent proche de son voisin, la raison première tient en ce qu’on identifie à lui, il a la même condition sociale, les mêmes problèmes d’argent, les mêmes fins de mois difficiles, les mêmes humiliations par la police, les mêmes galère de transport. Cette identification facilite la solidarité et l’amitié.
La conséquence première de la mixité sociale, d’un point de vue architecturale, va être la destruction de grandes barres d’immeubles, de tours. Avec ces tours, ce sont des liens de voisinages, des histoires communes, des solidarités qui se voient détruire. Ce que les experts urbains nomment "lien social" sera très difficile, pour ne pas dire impossible, à reconstruire dans un quartier où votre voisin n’a pas la même origine ethnique ou sociale. Les études démontrent que les pauvres vivent beaucoup moins bien la mixité sociale que les familles plus riches, la cause réside très certainement dans la perte de ces solidarités.
Communautarisme contre mixité sociale
L’un des arguments en faveur de la mixité sociale, et c’est celui de Manuel Valls, consiste à diaboliser le communautarisme. Dans ce que dit Manuel Valls, il y a un fond très raciste que l’on peut caricaturer de la façon suivante "si on met tous les étrangers ensemble, on aura des problèmes", c’est évidemment un peu plus complexe mais l’idée est là, renforcée par les événements qui ont entrainé ses propos. Manuel Valls présente la mixité sociale comme une solution dans la lutte contre le terrorisme. Et on arrive ici à une vision très française, la communautarisme est majoritairement perçu comme négatif, au contraire d’autres pays, comme les États-Unis notamment.
Or, vivre avec ses pairs n’est pas uniquement synonyme de repli sur soi ou de rejet de l’autre. Vivre dans un espace public mixte socialement est d’autant plus facile quand on appartient à ce que la société considère comme la norme mais nul doute que se balader dans la rue en tant qu’homme n’est pas la même expérience que le faire en tant que femme. Dans la même idée, si je suis un homme et que je me promène main dans la main avec ma copine, je ne le vis pas du tout de la même manière que si je tenais la main à mon copain homme, le poids de la norme hétérosexuelle rend cette situation beaucoup plus pesante. Le mélange de toutes les catégories se fait forcément en faveur des catégories dominantes. De fait, vivre entre soi ne se situe pas nécessairement en rejet des autres mais avant tout comme affirmation de soi, d’où le développement de quartiers gais ou immigrés dans lesquels il est plus facile pour ses communautés d’évoluer.
La mixité sociale comme outil de domination
La mixité sociale part, pour certaines personnes en tout cas, d’un bon sentiment. En effet, qui s’opposerait à l’idée d’aller vers les autres, d’apprendre d’un autre groupe, d’une autre communauté ? Cependant, à mélanger, et souvent de force, des groupes sociaux, on en arrive à une accentuation des dominations, et de la pression de celles-ci. Quant à ceux qui l’opposent à la "ghétoïsation", leur but est surtout de tuer des solidarités entre exploités qui peuvent leur être néfastes. La concentration de pauvres dans un endroit géographique donné entraine leur constitution en tant que groupe politique visible, ce que les dirigeants ont tout intérêt à contrer, voire détruire.
Le fond du problème ne réside pas dans le communautarisme, ni dans l’expulsion des pauvres vers la périphérie. Le problème se situe bien dans le fait qu’il y ait des pauvres. Et tant qu’il y aura de la pauvreté, il y aura des problèmes sociaux, tant qu’il y aura des dominations, il y aura de la pauvreté. C’est un déplacement, et cette fois-ci volontaire, du problème, afin de masquer le fait que la solution ne se trouve pas du tout dans la gestion des dominations mais bien dans la destruction de toute exploitation d’une classe sur une autre.
Ni mixité, ni relégation ! Égalité entre tou-te-s !
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