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Rapport parlementaire suite à la mort de Rémi Fraisse

Le 27 octobre dernier, la police tuait Rémi Fraisse en lançant, à tir tendu, une grenade explosive que le jeune manifestant recevait dans le dos. Une commission parlementaire, voulue par les Verts, se réunissait, tentant de nous faire croire que dans la démocratie française, ce genre d’affaire ne reste pas impunie. Le rapport parlementaire prouve bien autre chose : que de bavure il n’est pas question mais bien d’un système basé sur la domination policière que cette commission va contribuer à renforcer.

Dans un rapport de 500 pages, la commission tend vers l’élaboration de 23 propositions. Dans un souci d’honnêteté, il convient de préciser que l’auteur de cet article n’a pas eu le courage de s’infliger ces 500 pages mais les a survolé et s’est focalisé sur les 23 propositions en question.

Ce que dit ce rapport

Le rapport commence par l’avant-propos du président de la commission, Noël Mamère, député Europe Écologie Les Verts, qui se désolidarisera des conclusions tirées par sa commission, puis vient une introduction sans grand intérêt. Le rapport se construit ensuite en trois partie. Une première partie intitulée LE CADRE GÉNÉRAL DU MAINTIEN DE L’ORDRE EN FRANCE, où les membres de cette commission font les louanges de la France, pays dans lequel la liberté de manifester est respectée, la justice protège ce droit, les policiers sont très bien formés et d’ailleurs il y’a un savoir-faire reconnu à l’étranger.
Dans la seconde partie LES CONDITIONS DES TROUBLES À L’ORDRE PUBLIC ONT ÉVOLUÉ, les membres se plaignent que les manifestants ne déclarent pas toujours leurs événements et que dans les manifestations se trouvent des personnes plus énervées et motivées que les autres. Il y est longuement question des ZAD et à quel point ces nouveaux territoires ont déstabilisé les policiers habitués aux grands espaces urbains, cependant les députés de la commission concèdent que les ZAD ne sont pas, en soi, constituantes d’un trouble à l’ordre public. Un point entier est consacré à la médiatisation de ces événements, les journalistes produisant de plus en plus d’images et de moins en moins d’analyse, l’impact sur l’opinion publique rend obligatoire une réponse judiciaire. De plus, cette présence ostentatoire des journalistes en fait de potentielles victimes des manifestants. (en gros, à force d’insulter et de criminaliser les manifestants, les journalistes d’ITélé peuvent prendre des patates dans la bouche....) Cela influe le travail des policiers. La commission s’accorde sur la volonté d’une plus grande sévérité judiciaire.

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La collaboration entre médias et policiers lors des manifestations a été l’un des thèmes de cette commssion

La troisième partie s’intitule DÉVELOPPER DES RÉPONSES PLUS GRADUELLES POUR MIEUX CONJUGUER ORDRE ET LIBERTÉ et c’est le moment des concessions pour les députés. Ils semblent d’accord pour dire qu’on ne peut pas tout le temps envoyer des Flash-Ball dans la tête des manifestants, en tout cas pas sur tous les manifestants. Il y’a des bons manifestants et des méchants. L’idée est donc de parler aux gentils. Et peut-être aussi qu’il y’a des bons et des méchants policiers. Après toutes ces imbécillités, vient l’heure des conclusions... Et c’est pas franchement joyeux.

Les 23 propositions

- Proposition 1 : Créer soit une task force préfectorale spécialisée dans le maintien de l’ordre et mobile rapidement, soit des professionnels du maintien de l’ordre dans les préfectures les plus exposées.
Au lieu de simple CRS ou Gendarmes Mobiles, les départements "les plus exposés" (reste encore à définir lesquels) auront des super-policiers de l’affrontement.

- Proposition 2 : Clarifier les rôles respectifs de l’autorité exclusive du préfet et des forces mobiles.
Reste à voir ce que veut réellement dire cette proposition, soit il s’agit de préciser le rôle du préfet soit il s’agit de lui en donner plus, il faudra attendre les débats à l’assemblée pour le savoir.

- Proposition 3 : Assurer la présence permanente de l’autorité civile pendant les opérations de maintien de l’ordre et non pas seulement pour engager la force.
Le préfet, ou un représentant, sera présent à chaque manifestation.

- Proposition 4 : Créer un guide d’action à usage des préfets et le communiquer aussi largement que possible.
Un petit "Le maintien de l’ordre pour les nuls" sera édité et diffusé.

- Proposition 5 : Simplifier et rendre plus compréhensibles les sommations et la communication à destination des manifestants.
L’usage actuel étant "Première sommation : on va faire usage de la force... dernière sommation : on va faire usage de la force" puis ils font usage de la force. Il s’agit donc de simplifier ça...

- Proposition 6 : Faciliter le suivi par la presse des opérations de maintien de l’ordre.
Officialisation du rôle de collabo des journalistes lors des manifestations. Rares déjà sont les paroles des manifestants dans la presse, avec ce genre de dispositifs elles seront inexistantes puisque les journalistes auront déjà toutes les infos par la police.

- Proposition 7 : Rappeler le dispositif actuel permettant de prononcer une peine complémentaire d’interdiction ponctuelle de manifester sur la voie publique en cas de condamnation pour des violences commises lors de troubles à l’ordre public (interdiction judiciaire).
Cette mesure existe déjà mais est rarement prise. Il s’agit d’interdire de manifester à une personne condamnée. L’atteinte évidente au droit de manifester ne peut être nié

- Proposition 8 : Permettre la mise en œuvre, par arrêté préfectoral, de mesures de police administrative portant interdiction individuelle de participer à une manifestation (interdiction administrative).
Cette mesure est LA mesure phare de cette commission. Il s’agit nominativement d’interdire de manifester à une personne sans aucune forme de procès. Elle s’apparente à l’interdiction administrative de stade [1] : les policiers de lutte contre le hooliganisme connaissent une personne membre d’un groupe ultra et l’interdisent administrativement de stade pendant 2, 3, 4 mois. Ces interdictions ont toujours été cassées quand elles ont été portées aux tribunaux, mais le temps de la justice étant ce qu’il est, les ultras avaient la plupart du temps fini leur interdiction de stade quand ils obtenaient gain de cause.
Encore une fois, preuve est faite que les stades servent de laboratoires à grandes échelles sur la répression de la population. Ce qu’ont subi et ce que subissent actuellement les ultras correspond à ce que la population va subir dans les prochaines années.

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L’Interdiction Administrative de Stade, infligée aux Ultras, sera généralisée aux manifestants

- Proposition 9 : Fixer le principe d’une concertation préalable obligatoire.
Cette mesure est également inquiétante. Elle rend obligatoire une concertation avec la police avant chaque manifestation. Ainsi, la criminalisation d’une manifestation sera simplifiée par le simple refus de se concerter avec les flics.

- Proposition 10 : Créer de nouvelles unités policières de médiation, intégrées dans les manifestations et dispositifs de maintien de l’ordre.
Il s’agit de policier médiateur, afin de troubler l’antagonisme manifestant/policier. Il y aura les gentils policiers avec qui on discute et ceux qui seront là pour taper. Les forces répressives s’élargissent en devenant un membre de l’organisation de manifestation.

- Proposition 11 : Organiser un accueil et un retour d’expérience de la part des manifestants à l’issue des opérations de maintien de l’ordre.
Autour d’un petit café se dire que c’était pas mal cette manif. Il est évident que le but est de se mettre dans la poche les "organisateurs". En cassant la solidarité entre manifestants et en responsabilisant ceux qui sont identifiés comme organisateur, cette proposition va entraîner un contrôle de la part des manifestants eux-mêmes sur ceux qui ne manifestent pas comme ils l’entendent.

- Proposition 12 : Ouvrir la formation et la doctrine du maintien de l’ordre aux recherches en sciences sociales.
Peu claire, cette proposition pourrait signifier la sociologisation des manifestants afin de mieux les connaître. Il faudra attendre les conclusions de l’assemblée pour savoir exactement ce que veut dire cette proposition.

- Proposition 13 : Chercher à préserver et rendre incompressible le temps de recyclage des unités.
Il s’agit de former les flics sur le long terme et tout au long de leur carrière.

- Proposition 14 : Densifier la formation et le recyclage des unités chargées du maintien de l’ordre.
Semblable à la 13, elle élargit la formation. Ce qu’ils nomment "recyclage" signifie contrôler qu’un flic a bien les connaissances nécessaires pour continuer à exercer son métier.

- Proposition 15 : Réduire l’emploi des forces mobiles pour des missions périphériques de sécurité afin d’accroître leur disponibilité.
En gros, il va s’agir de ne pas envoyer des CRS et Gendarmes Mobiles, là où police nationale et BAC suffisent.

- Proposition 16 : Créer une habilitation au maintien de l’ordre pour les unités constituées de la police et de la gendarmerie nationales, hors escadrons de gendarmerie mobile et compagnies républicaines de sécurité.
Il s’agit de créer, au sein même des brigades, une élite du maintien de l’ordre. Elle fait écho à la 10. Des policiers, "humains et sociaux", discuteront avec les manifestants alors que des Robocop surentraînés les défonceront.

- Proposition 17 : Restreindre les dispositifs de maintien de l’ordre aux seules unités spécialisées ou habilitées du fait de leur formation. Même chose, ces deux proposition (16, 17) tendent à la création d’une élite de policiers expérimentés et spécialisés sur la question du maintien de l’ordre.

- Proposition 18 : Restreindre l’usage du lanceur de balles de défense LBD 40x46 lors des opérations de maintien de l’ordre aux seules forces mobiles et aux forces dûment formées à son emploi dans le contexte particulier du maintien de l’ordre.
Vous risquez toujours de vous faire crever l’œil, mais là ce sera pas un flic formé pour ça. Classe, non ?

- Proposition 19 : Développer de nouveaux moyens intermédiaires visant à disperser les foules.
Comment disperser les foules sans pour autant utiliser des armes aussi dangereuses que les grenades offensives ? Réponse à l’assemblée nationale.

- Proposition 20 : Renforcer et rénover les moyens mécaniques pour pallier les diminutions d’effectifs et favoriser l’émergence de nouveaux schémas tactiques. Maintenant qu’il y a une élite, quelles armes et quels moyens lui donne-t-on ?

- Proposition 21 : Systématiser le recours à la vidéo afin de faciliter les procédures d’interpellation lors des opérations de maintien de l’ordre.
Se passe de commentaires.

- Proposition 22 : Développer la capacité des unités spécialisées à interpeller des groupes d’individus violents.
Entraîner les flics à arrêter plus de personnes lors des manifestations.

- Proposition 23 : Améliorer la coordination entre les autorités judiciaires et préfectorales afin que les dispositifs de maintien de l’ordre permettent de façon plus fluide les poursuites pénales lorsque des délits sont commis.
Il s’agit de condamner plus lourdement les manifestants.

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La commission propose de créer une unité d’élite du maintien de l’ordre, à l’image des Ertzaintzal basque

Comme leur noms l’indiquent, ces propositions ne sont pas des décisions, elles seront examinées à l’assemblée nationale, mais la composante pluraliste de cette commission laisse supposer que les partis parlementaires ont trouvé un terrain d’entente.
Certaines de ces propositions n’auront pas ou peu de conséquences d’autres, comme la 8, 9, 10 ou encore 16, peuvent changer radicalement notre manière d’aborder les manifestations. Quand on se rappelle d’où vient cette commission : de la mort d’un manifestant, tué par la police, on ne peut qu’affirmer que ces conclusions sont une insulte à sa mémoire, et à tous ceux et toutes celles que sa mort a touché. Le pouvoir dit "socialiste" tâte pour voir jusqu’où il peut aller dans l’autoritarisme, une chose est sûre il ne s’arrêtera pas de lui-même.

De la solidarité envers ceux qui sont poursuivis pour donner des conseils sur comment se protéger de la police, à la participation à des rencontres collectifs contre les grands projets, les possibilités de répondre au pouvoir sont nombreuses. Et ça commence par ne plus laisser la parole à ceux qui l’ont confisqué, en s’inscrivant et en participant à des médias autonomes et indépendants, comme Reims Médias Libres tente de l’être.



Notes

[1Une analyse par un avocat de l’interdiction administrative de stade sur le blog de Jérôme Latta en janvier 2014

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