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Les mille visages de la contestation en Arabie saoudite

Peu d’informations circulent sur la contestation en Arabie saoudite. Pourtant, celle-ci est ancienne, multiforme, souvent menée par des islamistes qui réclament des réformes, la fin de la répression, une lutte réelle contre la corruption et même l’établissement d’une monarchie constitutionnelle. À toutes ces demandes, le pouvoir répond par la répression.

Quelques mois après la destruction des tours jumelles de Manhattan le 11 septembre 2001, un prince saoudien, fonctionnaire du gouvernement, déclara au cours d’une interview : « Nous autres qui avons eu le privilège de faire nos études en Occident sommes bien entendu favorables à la démocratie. On peut même dire que dans notre pays les seuls vrais démocrates, c’est nous. Mais si nous accordons aux gens le droit de vote, qui croyez-vous qu’ils vont élire ? Les islamistes. Ce n’est pas que nous ne voulons pas introduire la démocratie en Arabie, mais serait-ce bien raisonnable ? »1 Ce point de vue sous-entend que les islamistes sont les ennemis de la démocratie, même si, pour arriver au pouvoir, ils empruntent la voie démocratique. Pourtant par là aussi, peut-être à son insu, le prince reconnaissait la légitimité des islamistes ainsi que l’impopularité de la famille royale.

La crainte que les islamistes ne viennent troubler la vie politique saoudienne a provoqué des mesures de répression sans précédent depuis la révolution iranienne de 1979 et l’occupation de la grande mosquée de la Mecque par des salafistes armés la même année. Au cours des dernières décennies, des dizaines de milliers de personnes ont été embastillées et des milliers d’autres assassinées au nom de la stabilité du régime. Et pourtant, il existe en Arabie saoudite bon nombre de mouvements sociaux qui s’inspirent pour partie de l’islamisme dans ses formes diverses et qui cherchent à créer des mouvements de masse et à organiser des protestations contre cet environnement si répressif. Ces mouvements n’ont guère de relais institutionnels puisque les partis politiques ont été interdits en 1932, les manifestations et les grèves en 1956. Et depuis 2014, toute action collective est assimilée au terrorisme et réprimée en conséquence. Malgré tout, ces mouvements, souvent issus de l’islam politique, parviennent à faire descendre des gens dans la rue et à les envoyer aux urnes pour contester telle ou telle orientation de l’État. Ils luttent pour imposer des réformes, dénoncer les abus de pouvoir, revendiquer une monarchie constitutionnelle et le respect des droits humains. Cet article a pour objet d’expliquer la réussite de quelques-uns de ces mouvements et l’échec des autres, et d’évaluer leur éventuel apport à l’avenir de la politique saoudienne.
Sahwa, le « réveil de l’islam »

Al-sahwa al-islamiyya, « le réveil de l’islam » (couramment appelé « Sahwa »), est l’un des mouvements sociaux les plus anciens d’Arabie saoudite. Il est la traduction saoudienne des réseaux transnationaux égyptiens, syriens, irakiens, indiens et yéménites, venus de divers horizons politiques, certains étant des immigrants entrés dans le pays à partir de 1952, d’autres étant des Saoudiens. Au cours de son règne, la famille royale Al-Saoud a accueilli favorablement les Frères musulmans d’Égypte et de Syrie en exil, tout en interdisant la création d’une confrérie saoudienne.

Les Frères musulmans saoudiens sont répartis entre quatre groupements informels, dont deux au centre du pays, l’un dans la province orientale (Al-Charqiya), et un autre à Hedjaz. À partir des années 1970, les Frères musulmans ont été actifs dans le système éducatif et dans les médias. Ils se faisaient les défenseurs d’une culture islamique plus inclusive et plus moderne que celle de l’enseignement religieux officiel. Ils critiquaient aussi l’influence d’experts étrangers au sein des institutions de l’État.

Dans les années 1960 et 1970, en même temps que les Frères musulmans, des groupes salafistes ont émergé dans le cadre du Sahwa. Tous étaient nés d’une volonté de réinterpréter les mêmes textes religieux desquels l’État tire sa légitimité, mais eux aussi se sont divisés en plusieurs groupes, dont les interprétations des dogmes vont du quiétisme aux doctrines révolutionnaires. Certains salafistes soutiennent l’État et sa politique religieuse, d’autres critiquent les institutions religieuses officielles. Les uns demandent des réformes politiques tandis que d’autres appellent à combattre par les armes l’État et ses soutiens occidentaux. Tous les salafistes ont en commun une tendance à récuser l’impératif d’action politique organisée, sommant l’individu de se modifier lui-même d’abord pour devenir un musulman régénéré. Les Frères musulmans, en revanche, croient en la nécessité de l’organisation politique et en la possibilité de réformer la société de bas en haut. Or, le Sawha se compose aussi bien de salafistes que de Frères musulmans.

Comment des islamistes peuvent-ils s’opposer à un État qui doit sa légitimité à son adhésion ardente à l’orthodoxie sunnite la plus stricte ? Les salafistes comme les Frères musulmans soutiennent que la famille Al-Saoud a abusé de la religion en la transformant en outil de pouvoir. Contre cet assujettissement du religieux au politique, ils espèrent utiliser la capacité des réseaux religieux comme remparts potentiels contre l’autoritarisme. Les islamistes croient que mobiliser ainsi les réseaux religieux permettra d’opposer la loi de Dieu aux méthodes de la famille royale, y compris sa coopération avec les États-Unis et l’Europe, perçue comme une tentative de recoloniser le Proche-Orient.

Des militants du Sahwa ont pris part aux protestations de masse contre la première guerre du Golfe (1990-1991), lorsque l’Arabie saoudite servait de base arrière aux armées occidentales déployées contre Saddam Hussein. Les islamistes saoudiens réclamaient la rupture des accords militaires avec les États-Unis et l’Europe, ainsi que l’indépendance de la magistrature, le respect des droits humains, la liberté d’expression, l’interdiction de la torture, une extension de l’État-providence et la fin de la corruption. Les Al-Saoud ont répondu en renforçant leurs pouvoirs, avec l’adoption en 1992 de la Loi fondamentale et en réprimant le mouvement islamiste à partir de l’année suivante. Lors de leur sortie de prison à la fin des années 1990, des militants seront autorisés à participer à la mise en œuvre de réformes très limitées. Au cours du bref « Printemps saoudien » de 2003, ils réclameront encore des changements politiques, apporteront leur soutien à une monarchie constitutionnelle et exigeront une fois de plus que les droits humains soient respectés. Les attentats de 2000-2005 visant les Occidentaux susciteront des arrestations massives et ce projet de réforme sera vite étouffé.

Cependant, des candidats islamistes ont remporté les élections municipales de 2005 à Riyad, Djeddah, Dammam, La Mecque, Taëf et Tabouk. Ils sont parvenus à déjouer les règles draconiennes du système électoral qui interdisaient à la fois les coalitions de candidats et les programmes fondés explicitement sur la religion. La riposte des islamistes — y compris des salafistes, qui remportèrent quelques sièges à Dammam et Djeddah — a consisté à nouer des alliances clandestines, à l’aide de réseaux militants déjà en place. Mais ces élections ne présageaient aucune ouverture politique. Les électeurs ne désignent que la moitié des conseillers municipaux, l’autre moitié étant nommée par le gouvernement ; et ces conseils n’ont aucun pouvoir, leur rôle est uniquement consultatif. La faible participation (environ 11 % à Riyad) montre à quel point la population se désintéresse d’un scrutin largement perçu comme dénué de signification. Cependant ces victoires des islamistes ont surpris et n’ont jamais été reconnues par l’État. Pour les élections postérieures, on a modifié le code électoral pour empêcher une autre victoire islamiste, tout en réprimant toute action politique organisée avec une rigueur accrue.

En 2011, à la veille des soulèvements arabes, des activistes du Sahwa ont publié plusieurs pétitions adressées au roi Abdallah Ben Abdelaziz Al-Saoud, dont l’une, intitulée « Vers un État de droit et des institutions », plaidait en faveur d’élections libres et une autre, à coloration plus salafiste, s’intitulait « Appel à la réforme ». En 2013, ils ont apporté aussi leur soutien au président égyptien déchu, Mohamed Morsi. En février 2011, des militants salafistes ont fondé le Parti de l’oumma (Hizb al-umma) malgré l’interdiction des partis politiques, réclamant des élections libres et la séparation des pouvoirs. Les membres fondateurs ont tous été arrêtés et les réformateurs de nouveau réduits au silence.


P.-S.

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Urgence Sovkipeu

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