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Le business carcéral

Manuel Valls a annoncé la création de 33 nouvelles prisons à travers toute la France. Dans la région, Châlons-en-Champagne et Strasbourg accueilleront chacune une de ces nouvelles infrastructures. L’occasion de revenir sur la construction et la gestion des établissements pénitentiaires et surtout du business que ça engendre.

Le premier chiffre qu’il faut avoir en tête c’est celui de 68 253, le nombre de détenu-e-s pour une capacité opérationnelle de 58 587 places selon la Direction de l’Administration Pénitentiaire. C’est l’argument principal pour la construction de nouvelles prisons.
Ainsi donc, ce sont 33 prisons qui seront construites, 32 maisons d’arrêt et 1 centre de détention. Les maisons d’arrêt accueillent les prévenu-e-s (ceux et celles qui n’ont pas encore eu de procès) et les détenu-e-s condamné-e-s à moins de deux ans d’emprisonnement. C’est dans les maisons d’arrêt que le taux de surpopulation est le plus important puisqu’il atteint 138 % en septembre 2016, il est de 93 % dans les centres de détention. Bien entendu, il s’agit de moyennes, la situation est très variable d’une prison à l’autre. Ce plan augmentera la capacité de plus de 16 000 places sur 10 ans.

Le lucratif business des prisons

La volonté, on s’en serait douté, n’est donc pas de freiner l’accroissement du nombre de prisonnier-e-s en quasi constante augmentation, encore plus depuis novembre 2015. Pour ceux et celles qui se demandent encore pourquoi pas ce choix, la réponse est évidente, elle est la même que pour toutes les autres décisions politiques : le profit.
Parce que construire et gérer des prisons est particulièrement rentable.

Sur les 188 établissements pénitenciers que compte la France, 54 sont en "gestion déléguée", c’est à dire en partie gérés par des groupes privés, ce qui en termes d’effectifs représente la moitié des détenu-e-s.
La privatisation des prisons en France a débuté en 1987 avec une loi qui ouvre les fonctions "autres que celles de direction, de greffe et de surveillance" au privé. Dans un premier temps cantonnée aux fonctions internes de la prison (les repas, le nettoyage,...), cette privatisation s’est élargie jusqu’à la construction, en passant par le travail et la réinsertion.

Programme 13 000 : les débuts de la privatisation

En 1987, avec la loi du 22 juin relative au service public pénitentiaire, le programme 13 000 voit le jour. Son objectif est de créer 13 000 places supplémentaires sur deux ans. Et donc, comme vu précédemment, de céder une partie de ce service public au privé. La construction des 25 établissements neufs est confiée à des entreprises privées ainsi que la gestion de 21 d’entre eux.
Les entreprises privées se répartissent ces nouveaux marchés en zones géographiques de la façon suivante : Gepsa au Nord ; Dumez à l’Est ; Siges l’Ouest et enfin le sud pour Gecep-Egid. Sous ces noms étranges se cachent des groupes que vous connaissez très bien : Gepsa appartient à Cofely (filiale de GDF-Suez, aujourd’hui Engie), ils ont en charge à peu près tout dans les prisons et gèrent également les Centres de Rétentions Administratifs (on est une raclure ou on l’est pas hein !), Dumez c’est Vinci, Siges appartient à Sodexo ...

Qui dit privé dit profit et de fait des entreprises privées ont un intérêt économique à ce que des gens aillent en prison. La surpopulation ne baisse donc pas et les programmes s’enchainent.

Le programme 4 000 : toujours plus de privatisation

Bien que la privatisation ait coûté une blinde à l’État, l’équivalent de plus d’un milliard d’euros, cette gestion mixte s’étend et une seconde période de privatisation voit le jour : le programme 4 000 en 2001.
Il devait arriver plus tôt mais l’Inspection Générale des Finances avait trouvé louche que les groupes choisis pour la seconde génération de contrats mixtes soit exactement les mêmes que la première, elle avait ainsi demandé une étude de l’appel d’offre mais au final rien trouvé, donc les mêmes continuent, ou presque, Vinci et Gecep-Egid n’obtiennent pas de contrat mais Suez et Sodexo se partagent le magot juteux de la privatisation des prisons et signent des contrats pour les huit prochaines années, profitant des 115 millions d’euros de loyer annuel versés par l’État.

Le programme 4 000 prévoyait en 1996 la création de six nouvelles prisons de six-cents places chacune, ainsi que la rénovation des plus vétustes. Les trois premières prisons sont construites par Eiffage et les trois autres par Bouygues (via Quille).

Le programme 13 200 : l’arrivée des partenariats public-privé

La LOPJ (Loi d’orientation et de programmation pour la justice, également appelée Loi Perben) de 2002 prévoit la construction de 13 200 places, dont 300 pour mineurs et 28 nouvelles prisons pour un coût de 1,4 milliard d’euros.
Ce plan devait connaître une seconde étape de 13 000 autres places. Il n’a pas eu lieu suite à l’arrivée de la gauche au pouvoir, Taubira craignant que plus de places de prison ne conduisent à plus de peines de prison, sans déc !

La nouveauté se situe au niveau des contrats de financements : les partenariats public-privé (PPP). Si avant, les contrats couraient sur quelques années, maximum dix, cette fois, les PPP engagent l’État avec une entreprise privée pendant 30 ans ! Le principe est simple : une entreprise privée avance l’argent pour la construction et/ou la gestion et l’État le rembourse, sur trente ans, avec taux d’intérêt. D’ailleurs, en parlant d’intérêt, il faut savoir qu’un emprunt d’une entreprise privée coûte plus cher qu’un emprunt de l’État, donc à la base ce système sent déjà l’embrouille.
C’est avec ce principe que toutes les prisons ont été construites depuis (la plupart des nouveaux stades pour l’Euro également). L’Etat se fait tellement arnaquer que Taubira a appelé à ne plus signer ce genre de contrat.

Le 19 février 2008, les premiers PPP sont signés avec Bouygues, d’autres suivront. Un an plus tard, l’inauguration de Roanne, construite par Eiffage, permet de voir le "bon travail" réalisé par le privé. Les murs de la prison se fendillent, l’eau s’infiltre, pire : lors d’un exercice d’évacuation d’un détenu malade, les serrures sont gelées, la personne censée être évacuée reste bloquée trois quarts d’heure dans un sas.

Pour comprendre un peu la manne que représentent ces contrats, 75 % du chiffre d’affaires de GEPSA vient des sommes versées par l’Administration Pénitentiaire (AP). Aujourd’hui, l’Etat verse 5,9 milliards d’euros de loyer annuel aux gestionnaires privés, selon l’Observatoire International des Prisons. De plus, dans ces contrats il est stipulé que si le taux d’occupation d’une prison gérée par une entreprise privée dépasse 120 %, l’AP doit verser des pénalités à l’entreprise gérante. En somme, le gérant privé a un intérêt financier à la surpopulation carcérale...

Le plan prison Valls

Rien d’étonnant alors que trente ans après le premier programme de lutte contre la surpopulation, un nouveau de plan de lutte contre la surpopulation repointe son nez...

La cour des comptes affirmait, dans un bilan en 2008 que "les contrats de partenariat public-privé entraînent pour l’Etat une obligation juridique de paiement de loyers au cours de très longues périodes, et pour des montants croissants qui pèseront lourdement sur les capacités budgétaires dans ces années à venir".
Il semble d’après le ministère de la Justice que plus aucun PPP ne sera signé, du moins concernant la construction de prison.
Toujours est-il que la privatisation s’étend et progresse, en 2010 c’est l’accueil des familles et l’organisation des visites qui passent sous la gestion d’entreprise privée, en général GEPSA.

Le nouveau plan prévoit donc 33 nouvelles prisons, soit 16 000 places supplémentaires. Il coutera 1,16 milliard d’euros pour la partie construction. La construction d’une prison prenant en moyenne dix ans, ce plan, comme les précédents, est découpé en plusieurs étapes. 3 900 cellules seront construites lors de la première phase, en Ile-de-France, en PACA et dans le Grand Ouest, puis en décembre 9 agglomérations, Nîmes ou Alès, Strasbourg, Toulouse, Nice, Avignon ou Carpentras, et Nantes ou Saint-Nazaire, ainsi que trois en Île-de-France, en Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne et Val-d’Oise, aura droit à une nouvelle prison.

Pour l’instant, rien de très clair sur comment sera financé ce plan, les préfets doivent chercher des terrains où construire les prisons, le premier ministre a également indiqué qu’un livret blanc des prisons arrivera avant la fin du quinquennat. Toujours est-il que dernièrement 18 associations viennent de publier un communiqué commun contre la construction de prison...
Mais bon pourquoi arrêter ce qui rapporte autant ? Surtout qu’une fois construite, la prison peut encore rapporter gros, notamment en faisant travailler les détenu-e-s.



Le travail en prison, le paradis des employeurs

Le travail en prison représente une aubaine rare pour les entreprises. L’article 717-3 du Code de procédure pénale stipule que "les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail". Voilà, c’est dans la loi, il n’y a aucun contrat de travail, aucun droit au chômage, aucune protection maladie ou accident du travail, aucun congé payé, et, ça semble évident, aucun droit syndical. Le paradis des employeurs, c’est pas la Roumanie ou la Chine, c’est les prisons françaises !

Le travail en concession

C’est la forme de travail la plus courante en prison. C’est dans celle-là que les entreprises privées interviennent. Ce sont les tâches les plus rébarbatives, du travail à la chaine en veux-tu en voilà ! De l’ensachage de bonbons au conditionnement de parfum en passant par l’empaillage de chaises, des travaux inintéressants qui n’apportent aucune expérience et ne serviront à rien pour trouver du travail une fois sorti-e.

Les avantages sont pour les entreprises : mise à disposition des ateliers gracieusement, charges patronales quasi inexistantes, encadrement pris en charge et aucune, ou presque, visite de l’inspection du travail. On imagine facilement pourquoi EADS, Yves Rocher, L’Oréal, La Redoute, BIC ou encore Renault, ainsi que tout un tas de sous-traitants et de PME passent par la case prison. Leur coût sont réduits jusqu’à 50 % grâce au travail carcéral.

Quant aux détenu-e-s, pour elles et eux en revanche il n’y a que des inconvénients. Comme dit plus haut, elles et ils ne bénéficient d’aucune protection, d’aucun droit. 80 % des emplois sont payés à la pièce, comme par exemple ces femmes détenues à Versailles qui fabriquent des cartes postales pour les éditions Aris pour 10 centimes pièce. En moyenne, le revenu horaire est de 3 euros brut et le revenu mensuel de 359 euros.

La durée du travail est très variable, certains détenu-e-s n’ont pas de jour de repos, d’autres ne travaillent que quelques heures par semaine, tout dépend des commandes des entreprises, la flexibilité est la règle. En revanche, les cadences sont toujours élevées en raison de la rémunération à la pièce.

Ce manque de droit n’est pas caché, au contraire l’Administration Pénitentiaire s’en vante outrageusement dans ces plaquettes. L’absence de code du travail et la possibilité de rémunérer les détenu-e-s à 3 euros de l’heure est un argument principal pour amener les entreprises à passer par le travail carcéral.

Le service général

Il s’agit de tout ce qui touche au fonctionnement général de la prison : restauration, blanchisserie, plomberie, etc. C’est la forme la plus précaire de travail en prison, ouais encore plus précaire que 3 euros par heure. Qu’est-ce qui est inférieur à 3 euros de l’heure ? Bah zéro !

Eh oui, la manière dont l’article D 105 est tourné n’oblige pas à rémunérer les détenu-e-s employé-e-s au service général. Le revenu moyen est de 202 euros par mois. L’employeur est l’AP ou le gérant privé de l’établissement.
Les déténu-e-s acceptent parce que travailler est obligatoire pour cantiner. Le système de cantine permet d’acheter tout ce dont on a besoin, à commencer par la bouffe. Les repas sont souvent maigres et peu appétissant, alors pour combler ce manque de nourriture et de goût les détenu-e-s s’achètent de la meilleure nourriture, à des prix bien plus élevés qu’à l’extérieur. Petit détail sadique, dans les prisons privées, le gérant supprime des plateaux certains produits qu’il faut ensuite cantiner, c’est le cas par exemple de la confiture pour le petit-déjeuner, en général elle est fournie dans le plateau servi mais parfois elle en est retirée et il faut l’acheter...

Il faut savoir que plus de 20 000 détenu-e-s vivent avec moins de 45 euros par mois. La télé par exemple, souvent utilisée pour montrer le "luxe" dans lequel vivraient les prisonnier-e-s, coute 30 euros par mois.

RIEP : Régie Industrielle des Établissements Pénitentiaires

Le RIEP représente la "meilleure" (comprendre vraiment la moins pire) forme de travail en prison. Il s’agit de travail nécessitant du savoir-faire, parfois l’entreprise assure la formation des détenu-e-s et cela leur sert souvent lors de leur sortie.

On trouve des entreprises privées y ayant recours mais également du public, housse de matelas pour hôpitaux, mobilier urbain comme ces composteurs en bois pour la ville de Nancy ou restauration d’archives pour l’INA. Contrairement aux autres entreprises, l’INA assume parfaitement avoir recours aux détenu-e-s, et le revendique même comme un gage d’insertion. L’un des responsables INA en prison va même jusqu’à plaider pour un contrat de travail et un SMIC pour les prisonnier-e-s.

On s’en doute, il s’agit d’une forme très rare de travail puisqu’à peine 1 000 détenu-e-s sont sous ce régime où le revenu moyen est de 508 euros par mois, il peut atteindre 800 euros pour certaines tâches. Ce qui reste évidemment très loin d’un SMIC.

Le travail en prison est une manière de gérer la détention. Par exemple, dans le cas du RIEP, il peut calmer un-e détenu-e qui s’agite un peu trop. Si elle ou il la ferme, on lui propose un poste en RIEP mieux payé que les autres et plus intéressant. Encore une fois, la précarité des détenu-e-s a souvent raison d’elles et eux.
Un autre chantage au travail en prison sont les remises de peines supplémentaires. Pour avoir droit à ces peines, il faut travailler. Cette pression constitue pour le BIT (Bureau International du Travail) une "forme de travail forcé".
De plus, l’avantage du travail est qu’il maintient occupé-e-s les détenu-e-s pendant la journée, et le soir elles et ils s’endorment plus facilement.

Parfait pour les entreprises, pression pour l’AP, le travail carcéral reflète la violence de la détention et vient démonter le mensonge de l’insertion et du bien-fondé de la prison, de la sanction et l’acte de contrition qui entoure cette institution.

Les prisons humaines sont celles qui brûlent

L’une des critiques contre ces nouvelles prisons est qu’elles seraient "inhumaines". Jamais, la réflexion de ce texte n’a été tourné dans ce sens, jamais les prisons ont été analysées dans leur architecture et leur aspect physique.
Simplement parce que la prison est inhumaine telle qu’elle soit. Elle est l’un des piliers de l’État pour maintenir la société, à la fois punitive et préventive. Elle punit les pauvres qui ne tiennent pas leur rang et ne passe pas par le salariat pour (sur-)vivre et effraie les autres et les enjoint à se tenir tranquille.

L’un des arguments de l’AP et des entreprises consiste à dire que si l’on paye les détenu-e-s au SMIC et qu’on leur fait signer des contrats de travail, aucune entreprise n’aura plus recours au travail carcéral. Et si l’on reste dans le paradigme du capitalisme, cet argument est parfaitement valable, qui imaginerait que des entreprises aillent s’emmerder à payer au SMIC des détenu-e-s ?

La critique des prisons, et notamment du profit qui en résulte ne peut se faire que dans une perspective révolutionnaire. Les lois de notre société ne servent qu’à perpétuer la domination des exploiteurs. Il nous faut, avant de vouloir punir celles et ceux qui enfreignent les règles, nous pencher sur la manière dont celles-ci sont éditées. Par un gouvernement de bourgeois que la plupart d’entre nous n’a même pas voulu.

Elle n’a pas comme but de protéger la société mais la classe dominante. Sinon comment expliquer qu’un braquage de banque soit plus sévèrement puni qu’un viol ? Ce qui violente la société c’est le salariat : l’accaparement de la force de travail de tous et toutes au profit de quelques uns. C’est bien là, la pire des violences et c’est pourtant bien cela que la prison protège.

Une simple analyse sociologique des personnes mises en prison le prouve bien, des descendants d’immigré-e-s, des fils et filles d’ouvrier-e-s, des chômeur-euse-s, des clochard-e-s, des déserteur-euse-s du travail, ton pote, ta voisine. Aucun patron harceleur, aucun bourgeois violeur, aucun, ou peu, mari violent, aucun ancien président ayant trafiqué ses comptes de campagne. La prison est faite contre les pauvres. L’égalité devant la loi est un mythe auquel personne ne peut sérieusement prétendre croire.

La prison n’est que l’extension de notre société capitaliste, une version brute, extrême de ce que le Capital peut produire. La manière dont elles sont gérées le prouve bien, l’objectif est le profit et le maintien d’un ordre social permettant le profit, rien d’autre.

Que brulent toutes les prisons !


P.-S.

Sources :

La prison, sous l’angle du business :

- Gonzague Rambaud (avec N. Rohmer), Le Travail en prison. Enquête sur le business carcéral., Paris, Autrement, 2010
- Rachel Knaebel, La privatisation rampante des prisons françaises, article sur multinationales.org, paru le 26 février 2016
- La vidéo A qui profite la taule ? de #Datagueule

Sur la prison en général :

- Blog et émission de L’Envolée
- Le site de l’association Ban Public
- L’émission Ras les Murs sur Radio Libertaire, tous les mercredi à 20h30


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