La répression
En 1978, une radio libre baptisée “Radio Manievesle” émettait, pendant une heure maximum, certains vendredis soirs à partir de 19h 30.
Etant interdite, nous étions recherchés dès la première minute d’émission. Après avoir été repéré par des agents de la DST équipés d’un matériel permettant rapidement de localiser l’émetteur, toute l’armada de la Police Judiciaire rémoise intervenait. Les risques encourus étaient une peine d’amende pouvant aller jusqu’à 10 000 FF et une peine de prison ferme maximum de 1 an.
Sur Reims une douzaine de personnes furent inculpée de fin 78 à 1980. Les deux premières (dont l’auteur de cet article) eurent un contrôle judiciaire des plus sévères : suppression du permis de conduire, interdiction de quitter le département de la Marne et obligation de pointer deux fois par semaine au commissariat central. Ce contrôle judiciaire ne fut levé que 6 mois plus tard par décision de la Cour d’appel. Mais, il n’y eût aucun procès car l’instruction ne fut jamais close étant donné qu’après chaque arrestation et saisie de matériel, une nouvelle équipe se mettait en place et ré-émettait le plus rapidement possible sans oublier qu’une cinquantaine de rémois et de rémoises demandaient d’être aussi inculpés pour émissions radiophoniques illégales. A cette époque, ces demandes d’inculpations collectives étaient très en vogue, cela permettait d’ennuyer le juge d’instruction, d’engorger les services de police si le juge décidait de poursuivre, et surtout de revendiquer le plus collectivement possible un acte illégal.
Le monopole de l’Etat sauta en 1981 après les élections présidentielles et législatives. Certains diront que c’est grâce à la gauche qui avait gagné ces élections ; en fait c’est déjà grâce à la mobilisation et à la multiplication des radios libres que le pouvoir, qui commençait à être ridicule sur cette affaire, céda et aurait cédé même si Giscard avait été réélu ! En effet ce monopole devenait désuet et n’oublions pas que les projets de créations de grosses radios indépendantes de l’Etat fleurissaient car la “libération des ondes” pouvait devenir un créneau commercial générant des masses de capitaux importants grâce aux recettes publicitaires et aux produits dérivés.
La naissance de Radio Manievesle
C’est déjà là que certaines mémoires fléchissent.
Si l’on en croit “Marne Hebdo Reims” dans son édition du 4 décembre 2003 : “Un groupe de personnes voulant diffuser des musiques qu’on ne pouvait pas entendre sur les grandes ondes et un autre voulant faire de la radio un média citoyen fondent Radio Manievesle” AIE ! AIE !!!!
Qui a raconté ce genre d’ineptie à un journaliste ?
L’idée d’une radio libre sur Reims naît, en 1977, dans un groupe très affinitaire de quelques personnes, en majorité étudiant en fin d’étude (mais pas seulement), qui se réunit, certains soirs, autour d’une bouffe bien arrosée dans un appartement de la rue de la Briqueterie à Reims. Ce groupe rentre en contact très rapidement, sur des bases d’affinité idéologique, avec le groupe anar de Reims, membre de l’OCL, plus connu sous le nom de l’association Egrégore (en dehors du troupeau dans le vieux français), déclaration associative dans la loi de 1901 qui lui permet de louer des locaux de réunion (municipaux ou privés).
Ce groupe existe toujours puisqu’il publie entre autres ce Chat Noir, qu’il a un local sur Reims au 51 rue de Landouzy, et qu’il produit toujours une émission radiophonique d’une heure par semaine sur Radio Primitive, émission reprise par l’Eko des Garrigues sur Montpellier et Canal Sud à Toulouse.
Mais à cette époque des membres de ce groupe ont été à l’origine (avec d’autres) d’un journal de “libre-expression” intitulé “Le Pavé dans la Marne”. Ce canard rémois, tiré à 1000 exemplaires, a eu, dans ces années 70, un certain succès puisqu’il se vendait, exclusivement par ventes militantes, à plusieurs centaines d’exemplaires sur Reims. Ses réunions hebdomadaires regroupaient jusqu’à 40 personnes animées d’un même désir de contre et de libre information/expression.
De là est née Radio Manievesle et pas d’ailleurs !
Ce collectif radio n’a regroupé quasiment que des anars individuels ou membres du groupe OCL, des sympathisants, jeunes, plus ou moins proches du mouvement anar ! Une seule personne, seulement motivée par le fait de faire de la radio, sera présente dans ce collectif et assumera la répression. Ce copain sera à l’origine de Primitive et deviendra journaliste (apprécié par tous ceux et toutes celles qui ont quelque chose à dire contre l’organisation et le fonctionnement de notre société capitaliste ! Encore aujourd’hui !) et quittera la région après avoir été contraint de quitter “Primitive” pour des raisons qui me sont restés obscures. Il va sans dire que nous étions tous branchés “musiques nouvelles”, rock ou chansons françaises engagées.
Passons au contenu !
Et c’est là que certaines mémoires flanchent !
Radio Manievesle était une petite radio comme des centaines d’autres en France, mais aussi en Belgique... Elle faisait partie d’un mouvement qui se battait contre le monopole de l’Etat (français, belge, …). Dans ce mouvement il y eût en gros trois tendances importantes :
- les radios qui n’aspiraient qu’à la libération des ondes afin d’espérer faire du fric pour quelques personnes branchées qui semblaient avoir trouvées là un “ créneau porteur ”
- les radios qui émanaient de partis politiques dont évidemment le Parti Socialiste (mais aussi des militants de droite) … qui préparaient les élections de 1981.
- les radios associatives composées de militants libertaires ou d’extrême gauche ou de travailleurs en lutte contre des licenciements liées à une restructuration capitaliste (comme par exemple dans la sidérurgie à Longwy) ou d’habitants en lutte contre l’implantation d’une centrale nucléaire (comme à Chooz dans les Ardennes) ….
Radio Manievesle faisait évidemment partie de cette troisième tendance qui émettait afin qu’une parole différente, dissidente ou de lutte soit entendue. A cette époque, le vocable de “citoyen” n’existait pas pour la bonne et simple raison que nous étions globalement en dissidence avec l’Etat et son monopole de propagande. A Radio Manievesle il y avait 3 objecteurs de conscience qui étaient dans une situation d’insoumission à l’armée française, l’un des piliers de l’intégration citoyenne ! Nos émissions furent consacrées à l’antimilitarisme, l’antinucléaire avec notre participation à la lutte de Chooz dans les Ardennes et le soutien à des tas de luttes ouvrières, d’employées, d’intérimaires ou de travailleurs immigrés. C’est ainsi que Radio Manievesle réalisa une émission d’une heure sur la lutte des résidents des 2 foyers SONACOTRA de Reims début 1979. Cette émission fut reçue 5 sur 5 sur la ville malgré la répression et un résident interviewé, dont la voix fut identifiée par la police, fut le troisième inculpé de Radio Manievesle !
Nous n’avions donc rien à voir avec une quelconque démarche citoyenne qui est de nature intégratrice par rapport à la société telle qu’elle est. Un bon citoyen est celui qui vote, qui participe à ce monde immonde, qui y cherche sa place. Très peu pour nous, HIER comme AUJOURD’HUI !
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