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Sociogenèse d’un crime d’état

Alors que l’on commémore, ce lundi 17 octobre 2016 (à Paris, Pont Saint-Michel à 18H00), le cinquante-quatrième anniversaire du massacre d’octobre 1961, il nous paraît utile de revenir sur le travail d’Emmanuel Blanchard. Dans son livre La police parisienne et les Algériens (1944-1962), paru en 2011, l’historien restitue les résultats d’une longue enquête sur la police parisienne. Il montre comment, de 1947 à 1958, la préfecture de police, en réponse à ce qu’elle perçoit comme le « problème nord africain », constitue, de façon non encore publique, des unités ciblant spécifiquement les Algériens.

Alors que la guerre d’indépendance algérienne s’étend à la métropole en 1957 et 1958, les forces de police s’engagent dans une politique « d’élimination des indésirables ». A l’automne 1961, le préfet Maurice Papon obtient du gouvernement un véritable « chèque en blanc » pour démanteler le FLN et mener une bataille qui débouchera sur la perpétuation d’un massacre colonial au cœur de Paris, le massacre du 17 octobre 1961. Cette enquête historique inédite est précieuse en ce qu’elle permet de réinscrire ce déchaînement de violence exceptionnel dans des généalogies plus longues. En faisant la socio-histoire de l’institution policière et de ses liens avec le gouvernement, en restituant le rôle de Maurice Papon et la responsabilité très claire de Michel Debré et du Général de Gaulle, on voit réfutées les thèses d’un gouvernement politique dépassé, ou celle d’une simple « crise » au sein de la police. Tout en recommandant la lecture du livre dans son entier, nous reproduisons ici son épilogue.

« Les policiers sont devenus les combattants sans merci d’une lutte sournoise et sans merci, car c’est d’une guerre raciale qu’il s’agit. Et voici la conséquence : l’État, lui, est devenu dépendant de sa police – de son armée aussi, de cette armée dont certains organes ont été démesurément développés par leurs fonctions répressives : l’esprit de corps est la source de tout notre malheur comme il l’était déjà du temps de Dreyfus. »

François Mauriac, Le Figaro littéraire, 11 novembre 1961

En octobre 1961, toutes les conditions de possibilité d’une violence extrême étaient réunies. L’histoire longue des pratiques de police vis-à-vis d’une population racialisée et soumise à une emprise spécifique des forces de l’ordre ; l’état de quasi-belligérance entre une organisation armée et des policiers voulant venger leurs morts ; la désobéissance organisée à un « couvre-feu » qui, sans fondement légal, était le symbole d’une forme de souveraineté policière ; l’atteinte symbolique à la souveraineté nationale défiée par la parade d’une « organisation terroriste » avec laquelle il n’était possible de négocier qu’à condition qu’elle soit défaite ; le format du dispositif de maintien de l’ordre ; la tolérance hiérarchique et politique vis-à-vis de violences quotidiennes et de pratiques extra-légales considérées comme nécessaires ou pour le moins inévitables, sont au nombre des logiques qui permettent d’appréhender ce massacre inscrit dans la situation coloniale.

Ce serait cependant céder à « l’illusion étiologique » que d’expliquer le massacre du 17 octobre 1961 seulement par ces généalogies et ce contexte. Pour que les rafles au faciès dégénèrent en quasi-« pogrom », il a fallu que se mêlent, de façon en apparence paradoxale, les encouragements de la hiérarchie et l’insubordination d’agents subalternes que leurs encadrants laissèrent souvent seuls pour ne pas avoir à les sanctionner. Ces brisures dans la chaîne hiérarchique et cette forme de démission temporaire des autorités policières, qui savaient pouvoir compter sur leurs agents pour que le seul objectif qui valait à leurs yeux – arrêter le maximum d’Algériens afin que force reste à la « loi » – soit atteint, donnèrent la possibilité à chacun des policiers d’utiliser toute la gamme des moyens en sa possession pour gagner la bataille engagée contre le FLN.

Cette enquête ne permet pas de savoir comment les agents s’accommodèrent individuellement de ce chèque en blanc. C’est pourtant au niveau des groupes de référence professionnels (la brigade, l’unité, les quelques collègues habitués à « marcher » ensemble…) que se jouèrent les ajustements, les processus d’alignement (dans la violence effrénée ou, plus rarement semble-t-il, dans une certaine retenue) et l’ensemble des micro décisions qui donnèrent à ce massacre – proche par ses caractéristiques de certains de ceux perpétrés en Afrique du Nord – les contours qu’on lui connaît.

Si des policiers plus nombreux avaient répondu au relâchement des contraintes qui pesaient sur eux autrement que par une forme d’hyperconformisme aux attentes de l’institution, le 17 octobre aurait pu n’être qu’une gigantesque rafle aux mailles trop lâches pour permettre l’arrestation des 12 000 Algériens interpellés ce soir-là. De nouvelles études, des changements d’échelles seraient donc nécessaires pour rendre compte de la diversité des attitudes et des ressorts de l’engagement différentiel dans une répression dont la radicalisation conduisit à des comportements sortant du répertoire policier habituel.


P.-S.

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