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Le plan Vigipirate, c’est quoi ? (3/4)

Le Plan Vigipirate, on l’a vu et là, a donc des effets matériaux, mais cela reflète surtout une conception du monde. Entre la course à l’argent qu’il génère, et le racisme qui s’exprime dès qu’il est médiatiquement abordé, le Plan Vigipirate ne présente pas de simples « dérives sécuritaires. » Il est une mécanique de domination au service direct de l’État.

Des dérives sécuritaires à la mécanique de domination

L’idée est largement rabattue par la gauche bien-pensante, le Plan Vigipirate pourrait être utilisé de certaines façons à ce qu’il présente des dérives sécuritaires. Cela voudrait alors dire qu’il s’agit d’une sorte « d’effet indésirable de la volonté de sécurité des sociétés modernes ».
Or, peut-on parler d’effet indésirable quand un effet seul résulte de certaines mesures prévues par le Plan Vigipirate ? Ainsi, la présence massive de policiers dans un but de surveillance de la population est bien prévue par le Plan Vigipirate, elle n’en est pas un effet collatéral.
De même, la volonté de sécurité est elle-même discutable. De quelle sécurité parle-t-on vraiment dans le cas de la surdose en chlore des eaux potables dont nous parlions dans le premier article de cette série ?
Bien plus, donc, qu’incluant quelques « dérives sécuritaires, » le Plan Vipirate est plus une mécanique de domination aux mains de l’État en ce sens qu’il est au cœur du processus de désignation d’un « ennemi » et des discriminations qui, de ce statut, en incombent.

Le Plan Vigipirate est, depuis sa création, quasi systématiquement déclenché ou renforcer à la suite de l’explosion d’une guerre ou d’un attentat.
Dans le premier cas, la définition de l’ennemi est facilité par son existence étatique, toutefois depuis le développement de la « coopération internationale » les guerres interétatiques sont assez rares.
Dans le cas d’attentats, cette définition se fait tout aussi simplement à travers la mise en série de ces attentats qui présentait avec un narratif unificateur et angoissant, permet de fusionner guerre et crime.

Or, c’est bien l’existence en elle-même d’un « ennemi » qui va être un avantage pour l’état. Comme l’explique Murray Edelman dans son livre Pièces et règles du jeu politique :

« même s’il arrive que les ennemis politiques portent des coups réels et infligent des blessures qui n’ont rien d’imaginaire, ils sont souvent un atout entre les mains de ceux qui les désignent comme tels. Parce que l’évocation d’un ennemi menaçant peut aider à s’assurer l’appui de ses cibles potentielles »

C’est l’existence de cet ennemi qui va permettre un déploiement policier massif qui, comme l’explique Didier Bigo dans son article La mondialisation de l’(in)sécurité ?, « au lieu de rassurer et de protéger effectivement, [...] troublent et inquiètent pour générer de l’obéissance, tout en ne protégeant pas mieux, mais en proposant de contrôler toujours plus de personnes, par des moyens toujours plus intrusifs, certes, mais toujours aussi aveugles aux tactiques banales des poseurs de bombes. »

La définition d’un ennemi par l’état est donc caution d’obéissance de ses administrés de par la nécessité de trouver « l’ennemi infiltré, » qui entraine alors une surveillance généralisée. Mais nous sommes pour le moment resté à un plan très théorique.

Au service de quelle(s) domination(s) ?

L’existence d’un ennemi légitime donc la domination d’un état sur un autre ou d’un état sur ces administrés. Mais la définition de cet ennemi par l’état pose un autre problème. La démonstration ne sera pas faite ici du fait que s’exprime à travers le fonctionnement de l’état des dominations structurelles. Mais c’est bien, ces dominations là que va servir in fine le Plan Vigipirate, ou tout autre dispositif chargé de défendre la population contre un « ennemi. »

En effet, la recherche de cet « ennemi infiltré » se double souvent d’un appel à la population, si ce n’est à la délation, au moins à la méfiance de l’autre. Une méfiance dans laquelle la présence de différences au sein de la population est vue comme la présence de cet « ennemi infiltré. » Et c’est bien la définition de cet ennemi par l’état qui indique quelles différences mérite d’être « suspectes. »

Des différences qui peuvent être transmises à la population par la « propagande directe de l’état, » ou bien encore à travers les médias.

On a ainsi pu découvrir ces derniers jours une campagne « anti-djihadisme » qui sans les nommer cible ouvertement les musulmans (quand le propos n’est pas tellement malhabile qu’il peut cibler à peu près n’importe qui en proie à un changement dans sa vie…). Les médias vont aussi offrir un espace dans lequel ces différences vont pouvoir être pointées et rabâchées, parfois dans un style beaucoup plus libre d’expression qu’au travers de la propagande étatique.

Des mesures comme le Plan Vigipirate participent donc au processus de justification de l’existence de ces dominations. Puisqu’il existe un ennemi, il est normal de le rechercher. Pour cela, l’ennemi doit être identifié, et toutes personnes se rapprochant de cette définition, est donc « justement » dominée, puisqu’en raison de la sécurité de tous.

Mais loin de se contenter d’affirmer ces dominations comme légitimes, certaines mesures du Plan Vigipirate y participent directement. Ainsi, dans l’exemple déjà abordé du surdosage en chlore de l’eau du robinet, c’est bien la mesure du Plan Vigipirate elle-même qui contribue à la discrimination de fait des populations les plus pauvres, contraintes de s’abimer la santé, aux privilèges des populations plus aisées qui peuvent acheter une eau non chlorée.

Tout cela sans compter le fait que le Plan Vigipirate s’intègre parfaitement au capitalisme, que ce soit grâce aux entreprises de sécurité embauchées pour leurs « analyses stratégiques » ou tout simplement pour fournir un nombre toujours accru de vigiles partout, soit grâce au nouveau marché qu’il permet de créer quand on ne trouve pas l’occasion d’en recycler un déjà bien juteux

Vers l’imposition d’un nouveau modèle ?

Si le Plan Vigipirate s’appuie sur le canevas de domination qui préexiste, il n’en est pas un résultat direct. Il s’inscrit par contre dans un schéma de plus en plus répandu à l’échelle mondiale de gestion de population grâce à des « mesures d’exception » et un encadrement militaire des problématiques de surveillance, et même de répression, qui, sous couvert de sécurité, importe un climat de guerre au sein même du pays.

Des pratiques qui se sont forgés sur l’expérience de lutte pour l’autonomie des anciennes colonies occidentales. On a déjà parlé ici de la démonstration de Matthieu Rigouste, sur la réutilisation de pratiques issues des guerres coloniales par l’état français à travers le Plan Vigipirate, mais plus largement dans sa « gestion de la sécurité. » De la même façon, l’article de Didier Bigo et Emmanuel-Pierre Guittet, Vers une nord-irlandisation du monde ? démontre bien comment la guerre contre le terrorisme, à travers de l’intervention américaine en Irak, répond d’une logique qui fut celle de l’empire britannique confronté à la réapparition de l’IRA dans les années 70.

A travers toutes ces expériences, s’est développé tout un champ de professionnel nouveau. Des professionnels de la sécurité qui envisagent la gestion de l’inquiétude d’un événement, le soi-disant besoin de sécurité, à travers la gestion de la vie de tout le monde. Une gestion qui se fait au travers notamment d’analyses et d’expertises, auparavant réservé au secteur bancaire, et qui s’appuie sur une surveillance massive pour coller au plus à la « réalité. »

Une réalité dans laquelle le danger est artificiellement maintenu à son niveau maximum en permanence grâce au travail de ces experts qui conseillent les hommes politiques. Or quand on sait que parmi les mesures du Plan Vigipirate se trouve la tenue de réunions, par exemple hebdomadaire pour les ministres, pour discuter de ces questions de sécurité, on comprend un peu mieux que les politiques soient enclin à écouter ces experts en sécurité. Une sorte de serpent qui se mord la queue…

Enfin comment terminer cet article sans constater une nouvelle fois le rôle des médias dans ce travail de légitimations des dominations. En effet, il est une chose couramment dénoncée que le sujet sécuritaire se trouve régulièrement et pro éminemment mis en avant dans les médias. Créant par là même une peur parmi la population, peur qui permet d’accepter sans trop réfléchir des mesures présentées comme légitimes quand elles permettent comme dans le cas du Plan Vigipirate, d’assurer la sécurité. Cette coopération entre dominants et médias peut s’expliquer par l’existence d’intérêts communs, développé par un sentiment d’appartenance à un même groupe comme cela a pu être démontré par Pierre Carles, ou tout simplement car ces intérêts sont les intérêts directs d’un groupe industriel possédant et secteur presse et secteur d’armement, comme c’est le cas du groupe Dassault.

Sur la mise en avant des problématiques liées à la sécurité, il est aussi intéressant de noter que là où d’autres sujets nécessitent un véritable travail journalistique, la mise en avant du « phénomène d’insécurité » est avant tout la mise en avant de l’émotion qu’il suscite. Suite à un attentat, dans tous les médias, on voit fleurir moult témoignages qui contribuent à la présence constante de ces questions dans l’actualité.



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